samedi 24 avril 2010

von Graffenried

Ecrire la photo. Ce qui se passe dans la vue, la découverte d'un travail. Les étonnements, les confirmations, les lignes perspectives dégagées.
Le fait de la MEP, et des modes de publication : les livres, le photojournalisme, Match, revues majoritaires allemandes, suisses (, américaines ?). Les sujets majeurs, d'entrée majeure : la guerre civile en Algérie, et publication type Match, et type grand livre de photo. Le premier chantier : le Palais de la confédération suisse, première publication aussi (c'est taper haut ; le minorer par des moyens de facilité : les députés dans l'intimité de leur corps-représentatif: le doigt dans le nez, en bâillement, en dispositions de quinconce qui les met en patterns désindividualisés, comique facile; photographiés en grappe avec entre leurs sièges un photographe chevelu avec un zoom pointé en oblique, vers une autre scène homothétique, décentralisante donc).
"Outing" comme "donner à voir ce que l'on ne voit pas" - effet de blurb [ce qui est gardé comme résumé de résumé de procédé, dans le dépliant de visite], le tenir à ça. Faintly boring. Le plus spécifique serait dans deux dispositifs : la prise de vue à partir du "en cachette" (qui traduit la formule? - je ne me souviens même plus en quelle langue il parle lui, interviewé), appareil sur le ventre, pendant l'Algérie - puis photos montrées, après-coup, aux individus photographiés, pour un retour historique. Et 2: le panoramique (il travaille encore avec cet argentique au format décalé - "japonais, vieil appareil, adopté 1991"), que la scénographie de la MEP souligne en marquant au sol l'emplacement de deux pieds, pour que le regard vienne se ficher (se faire ficher) au coeur de la photo, de la vue enveloppante, dans (et non out).
"Parce que la situation est difficile d'accès, que l'on oublie de la voir ou que, tout simplement, on refuse de la regarder". On pourrait s'irriter de ces plans de discours idiots, adressés par personne à personne, milieu d'usure et de confusion. On peut aussi le prendre à l'énonciatif : comme ce milieu du culturel, boîte d'embrayage, c'est comme ça que ça passe. (Quoique von Graffenried fasse attention à ses modes de montre : exposition "des [socialement, de quartier] refusés" aux toits du Caire, panoramiques sur tentures (ici suspendues sur des cordes à linge ; entrée dans le système social des toits), négociations rencontres de longue date avec les photographiés, etc.) Ce n'est pas la même chose, dans une structure de communication, les accès du photographe et les circuits du voir idéologiques (ceci en lisant Althusser les matins) / artistiques : photographe / regards que la photographie va interroger. Mais je prends, c'est à prendre : la photographie qui m'intéresse, celle qui prend les deux en un même mouvement. Passe passe, énonciateur énonciation transénonciation. C'est Arbus qui m'a ouvert ça : le portrait, toujours la question de : celui de qui? De la transformation de qui? Portraiteur portraituré portraitee. Ce continu dans une photo qui est une transformation. La même question, puisqu'il y a à "parlons d'autre chose" - Beckett sur les van Velde : ni des "moyens plastiques" ni les plots des positions de sujets dans la circulation, mais "parlons de l'humain". Qui passe et est tout dans le passage, ce qui court, furet.

Il y a d'autres drames que ceux qui sont fixés ici. Ceux qui passent, qui sont fluets dans les épaisseurs du temps du juste maintenant, juste ce temps antidramatique. Mais on prendra.

"MvG ouvre des sociétés fermées et pose sur les gens et les lieux un regard à la fois brut et provocateur." Les sociétés toujours fermées, entrer, entrer. Poser un regard, intéressant pour son "ce n'est pas ça" (ordinaire, ça barbe un peu comme le Vraisemblable d'une époque qui traîne) : ce qui se pose est un rapport, la question d'un rapport, et ses étonnements. Ces what happens. Après on cherche. What happens quand MvG photographie les sacrifices de l'Aïd à Evry : instant infiniment émouvant, voir son visage où le sourire est encore tracé quand un homme portant une carcasse bien ritualisée (sculptée, enveloppée dans un plastique prévu, posée sur l'épaule d'une façon étudiée par une pratique) lui tend un menton dur, des mots agressifs, il pose la question normale : qu'est-ce que tu fous là? Comment tu entres. (Qu'est-ce que tu fous là, tout autre chose comme violence, comme socialité, que "qu'est-ce que je fous là", Depardon).
Comment MvG entre, de son corps : un appareil qui fait photographier de près, rentrant dans les groupes, rentrant dans les visages, dans les situations.

Séries exposées : "Nu au Paradis" (1988-97), "Soudan" (1995), " Guerre sans image" [Algérie, 1991-2002], "CocaineLove" (2003-2005), "Our Town - an Inside look at the United States Today" (2006), "Inside Cairo" (2007 - tiens), "London Calling" (2010 - nouveau minaret d'argent à Brick Lane, à quelques mois après le référendum suisse sur les minarets).
. La colonie de nudistes : Arbus a passé d'abord dans ce rapport, mais il reste simple comme une base : dénuder, entrer dans ce rapport nécessaire explicité photographique : le photographe aussi nu que les photographiés, qui multiplient leur nudité par son exposition publique (photographique comme publication, évidemment. D'où pas une question de regard).
. Inside Cairo : les photos comme entrée ; comme taille d'un espace alternatif (les toits pour la montre ; on voit des footage d'archive sur les gens qui passent voir, passent entre les bâches étentues). L'effet alternatif, introductif, vivisective, explicitement politiquement insupportable (récit des difficultés à faire imprimer les bâches, "autocensure") de ces vues enveloppantes, scènes de rue transformées par l'entrée. Un révélateur d'air social. Avec un effet d'entrée, de pénétration, [viol, mémoire du colonial], qui est d'une autre nature que le journalisme, le documentaire, leur lissé culturel.
. CocaineLove : le rapport soutenu aux photographiés. Une entrée réelle, qui prend les corps et les vies. Sur la drogue c'est souvent ; c'est souvent possible par les socialités douloureuses de la drogue. Ou des sexualités desperate - voir Goldin, Larry Clark (Tulsa, 1063-1971). Des scènes sociales identifiées.
. United States : aussi, une entrée classique. Qui reste champ vaste ouvert, à vivre.
. London Calling : un peu plus tiré, dispositif de l'engagement, comme une revanche artistique. Mais reste travail de photo. Le noir et blanc ici efficace : les sourires des jeunes hommes aux visages ouverts, dans le crade du N&B journalistique, en mémoire directe de "l'islamiste" de Guerre sans image". Le N&B comme ici, qui déjoue celui de l'autre : le photojournalisme, le regard de rejet, le regard comme séparation.

Format : "Ces grands tirages visent à objectiver le monde, sans aucune recherche de dramatisation. Ils plongent le spectateur au coeur de l'événement". [La photo, espace d'aprivoisement pour moi des choses que les automatismes de protection ont l'habitude de dismiss : laisser de petites choses passer, laisser goutte à goutte des choses impossibles, abject, entrer.] Savoir qu'on écrit pour. Pour des choses spécifiques, dans des recherches tâtonnantes. "Objectiver" tend vers quelque chose de MvG : le mot qu'il met (qu'on met - qui écrit, bon?) sur ce qu'il y a à comprendre de sa pratique. Couper dans les discours, dans la masse du Vraisemblable, faire une énonciation. D'accord. Contre, précisément (touche, précisément) : "dramatisation". Ne pas confondre avec la dramatisation par quoi pourrait aussi appeler son dispositif de viewing. Chercher de la peau. A y être avec sa peau (celle qu'on pourrait y laisser, that is).

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